La crise va-t-elle accélérer l’accession d’une nouvelle génération de patrons aux commandes des entreprises ? Il n’est pas interdit de la penser. Et il faut peut-être même le souhaiter. Car, avant même la tourmente économique actuelle, de profondes aspirations au renouvellement des pratiques managériales se manifestaient déjà. Avec un point de convergence : la valorisation des capacités relationnelles et des capacités humaines.
« Jusqu’à présent, les dirigeants d’entreprise étaient sélectionnés selon des critères inspirés des sciences dures de l’ingénieur et de l’expert comptable. Les grandes écoles assuraient la reproduction des élites autour d’un triple déni des affects, de l’imaginaire et de tout facteur humain », écrivait Thierry Chauvel, professeur à HEC dans un ouvrage paru en 2008 (1). Depuis, le renouvellement qu’il appelait de ses vœux a pour le moins gagné en intensité à mesure que la crise économique menaçait de se transformer en crise managériale.
Car, comme le souligne le quotidien Les Echos, « Les critiques pleuvent à l’encontre des modes de management » (2). Une accusation est prioritairement adressée aux hiérarchies des entreprises : celle de faire primer la froide rationalité mathématique sur toute autre considération, comme en témoignerait, par exemple, la passion des organisations pour le reporting. « Le management ne s’adresse qu’à une partie de notre humanité, mais néglige tout le reste, les instincts, les passions, les aspirations », déplore Frédéric Fréry, professeur à l’ESCP Europe.
Mais est-ce encore bien vrai ? Certains chefs d’entreprise semblent en effet fort conscients de ces critiques et partagent même nombre des aspirations qu’elles révèlent. Dans un récent ouvrage sur la place de l’homme dans l’entreprise, Éric Jacquemet, ancien patron TNT France, estime ainsi que « les dirigeants doivent avoir un cerveau, mais aussi du cœur et de l’empathie. Ils doivent être capable de comprendre les émotions que ressentent ses collaborateurs et même de se mettre à leur place. (3) » Il est vrai qu’Éric Jacquemet n’est pas un patron comme les autres. Entré comme simple commercial chez Jet Services, il a gravi un à un tous les échelons de l’entreprise qu’il dirigera ensuite lorsqu’elle deviendra la filiale française de TNT.
Il n’est toutefois pas le seul à exprimer de telles convictions dans le patronat français. Alors qu’il présidait Siemens France, Philippe Carli lançait cet avertissement à ses pairs tentés de multiplier les économies sur la masse salariale dans le but de traverser la crise : « Il faut le dire et le répéter, la sortie de crise ne sortira pas d’un quelconque décret intellectuel ou politique, mais sera le résultat de l’action des femmes et des hommes qui ensemble composent l’entreprise. Ce sont eux qui feront repartir la machine, le moment venu. (4) »
Une opinion partagée par Nicolas Dmitrieff. Jeune président du Directoire de CNIM - une entreprise française d’environ 3.000 personnes spécialisée dans la conception et l’édification d’ensembles industriels complexes dans les secteurs de l’environnement et de l’énergie - ce dernier insiste, lui aussi, sur la nécessaire attention que méritent tous les collaborateurs de l’entreprise sans considération de leur position hiérarchique. « Au cours de ma vie professionnelle, explique Nicolas Dmitrieff, j’ai été successivement conducteur de travaux dans une entreprise de BTP, puis créateur et dirigeant d’une entreprise de communication et de marketing avant de prendre les rennes de CNIM. Or, à chaque fois, malgré la diversité de ces expériences, j’ai pu mesurer sur le terrain combien la performance de l’entreprise reposait avant tout sur le libre engagement des salariés quelle que soit leur position dans la hiérarchie. (5) »
Un constat qui s’appuie aussi sur la façon dont l’organisation et le fonctionnement des entreprises a évolué ces dernières années. En effet, alors que les entreprises pyramidales cèdent la place à des entreprises plus souples se réorganisant au gré des projets et fonctionnant en réseau, les qualités attendues des collaborateurs ne sont plus les mêmes qu’auparavant. À mesure que la hiérarchie formelle s’efface, les capacités relationnelles gagnent en importance. « Dans le métier d’ensemblier qui est le nôtre, malgré les technologies pointues que nous mettons en œuvre, les connaissances scientifiques et techniques ne suffisent pas », souligne Nicolas Dmitrieff. « Tout comme sur un chantier ou dans un atelier, il faut aussi être capable de diriger des équipes très diversifiées et de les faire travailler ensemble avec harmonie. Cela nécessite d’avoir une vraie capacité à gérer les hommes. »
Une profession de foi relayée par un récent dossier des Échos soulignant « la fin de la monoculture systématique de telle ou telle discipline - management, droit, mathématiques ou géographie » parmi les cadres dirigeants (6). Car « l’heure est désormais à l’ouverture, au croisement entre les disciplines, à la double compétence ». Avec une prédilection pour les profils mixtes “ingénieurs et managers”. L’objectif ? Disposer de dirigeants et de cadres “plus ouverts, plus polyvalents, plus adaptables” et donc “plus à même de piloter des projets multidimensionnels, d’innover et d’entreprendre”.
Et s’il y avait finalement convergence entre les aspirations des salariés, les nécessités économiques et les leçons que tirent les nouvelles générations de patrons dont sont emblématiques des hommes tels qu’Éric Jacquemet ou Nicolas Dmitrieff ? Une chose est sûre : tout incite aujourd’hui à réhabiliter la dimension humaine des organisations. Comme l’affirme le patron de CNIM en se référant à son expérience de terrain, « Dans la direction d’une entreprise, il n’y a pas que les stratégies, les chiffres ou les décisions. Il y a aussi l’interaction, le dialogue, le respect entre les personnes, qui font de l'entreprise un système humainement harmonieux, performant. D’ailleurs, c’est bien simple : si l’on est incapable d'entendre les gens, mieux vaut renoncer à la fonction de dirigeant d’entreprise, il faut changer de métier… »
Notes :
(1) « Patrons symboliques », par Thierry Chavel, in De quoi demain sera-t-il fait ?, Institut Aspen France (sous la direction de), Editions Autrement, mars 2008, 158 p.
(2) Les Échos, 08/10/09.
(3) « L’homme au cœur de l’entreprise », par Éric Jacquemet, Editions d’Organisation, mai 2011, 163 p.
(4) Le Figaro, 07/10/09.
(5) Entretien avec le dirigeant.
(6)“Ingénieurs, managers. La double compétence pour faire la différence”, Les Échos, 08/11/11..
Car, comme le souligne le quotidien Les Echos, « Les critiques pleuvent à l’encontre des modes de management » (2). Une accusation est prioritairement adressée aux hiérarchies des entreprises : celle de faire primer la froide rationalité mathématique sur toute autre considération, comme en témoignerait, par exemple, la passion des organisations pour le reporting. « Le management ne s’adresse qu’à une partie de notre humanité, mais néglige tout le reste, les instincts, les passions, les aspirations », déplore Frédéric Fréry, professeur à l’ESCP Europe.
Mais est-ce encore bien vrai ? Certains chefs d’entreprise semblent en effet fort conscients de ces critiques et partagent même nombre des aspirations qu’elles révèlent. Dans un récent ouvrage sur la place de l’homme dans l’entreprise, Éric Jacquemet, ancien patron TNT France, estime ainsi que « les dirigeants doivent avoir un cerveau, mais aussi du cœur et de l’empathie. Ils doivent être capable de comprendre les émotions que ressentent ses collaborateurs et même de se mettre à leur place. (3) » Il est vrai qu’Éric Jacquemet n’est pas un patron comme les autres. Entré comme simple commercial chez Jet Services, il a gravi un à un tous les échelons de l’entreprise qu’il dirigera ensuite lorsqu’elle deviendra la filiale française de TNT.
Il n’est toutefois pas le seul à exprimer de telles convictions dans le patronat français. Alors qu’il présidait Siemens France, Philippe Carli lançait cet avertissement à ses pairs tentés de multiplier les économies sur la masse salariale dans le but de traverser la crise : « Il faut le dire et le répéter, la sortie de crise ne sortira pas d’un quelconque décret intellectuel ou politique, mais sera le résultat de l’action des femmes et des hommes qui ensemble composent l’entreprise. Ce sont eux qui feront repartir la machine, le moment venu. (4) »
Une opinion partagée par Nicolas Dmitrieff. Jeune président du Directoire de CNIM - une entreprise française d’environ 3.000 personnes spécialisée dans la conception et l’édification d’ensembles industriels complexes dans les secteurs de l’environnement et de l’énergie - ce dernier insiste, lui aussi, sur la nécessaire attention que méritent tous les collaborateurs de l’entreprise sans considération de leur position hiérarchique. « Au cours de ma vie professionnelle, explique Nicolas Dmitrieff, j’ai été successivement conducteur de travaux dans une entreprise de BTP, puis créateur et dirigeant d’une entreprise de communication et de marketing avant de prendre les rennes de CNIM. Or, à chaque fois, malgré la diversité de ces expériences, j’ai pu mesurer sur le terrain combien la performance de l’entreprise reposait avant tout sur le libre engagement des salariés quelle que soit leur position dans la hiérarchie. (5) »
Un constat qui s’appuie aussi sur la façon dont l’organisation et le fonctionnement des entreprises a évolué ces dernières années. En effet, alors que les entreprises pyramidales cèdent la place à des entreprises plus souples se réorganisant au gré des projets et fonctionnant en réseau, les qualités attendues des collaborateurs ne sont plus les mêmes qu’auparavant. À mesure que la hiérarchie formelle s’efface, les capacités relationnelles gagnent en importance. « Dans le métier d’ensemblier qui est le nôtre, malgré les technologies pointues que nous mettons en œuvre, les connaissances scientifiques et techniques ne suffisent pas », souligne Nicolas Dmitrieff. « Tout comme sur un chantier ou dans un atelier, il faut aussi être capable de diriger des équipes très diversifiées et de les faire travailler ensemble avec harmonie. Cela nécessite d’avoir une vraie capacité à gérer les hommes. »
Une profession de foi relayée par un récent dossier des Échos soulignant « la fin de la monoculture systématique de telle ou telle discipline - management, droit, mathématiques ou géographie » parmi les cadres dirigeants (6). Car « l’heure est désormais à l’ouverture, au croisement entre les disciplines, à la double compétence ». Avec une prédilection pour les profils mixtes “ingénieurs et managers”. L’objectif ? Disposer de dirigeants et de cadres “plus ouverts, plus polyvalents, plus adaptables” et donc “plus à même de piloter des projets multidimensionnels, d’innover et d’entreprendre”.
Et s’il y avait finalement convergence entre les aspirations des salariés, les nécessités économiques et les leçons que tirent les nouvelles générations de patrons dont sont emblématiques des hommes tels qu’Éric Jacquemet ou Nicolas Dmitrieff ? Une chose est sûre : tout incite aujourd’hui à réhabiliter la dimension humaine des organisations. Comme l’affirme le patron de CNIM en se référant à son expérience de terrain, « Dans la direction d’une entreprise, il n’y a pas que les stratégies, les chiffres ou les décisions. Il y a aussi l’interaction, le dialogue, le respect entre les personnes, qui font de l'entreprise un système humainement harmonieux, performant. D’ailleurs, c’est bien simple : si l’on est incapable d'entendre les gens, mieux vaut renoncer à la fonction de dirigeant d’entreprise, il faut changer de métier… »
Notes :
(1) « Patrons symboliques », par Thierry Chavel, in De quoi demain sera-t-il fait ?, Institut Aspen France (sous la direction de), Editions Autrement, mars 2008, 158 p.
(2) Les Échos, 08/10/09.
(3) « L’homme au cœur de l’entreprise », par Éric Jacquemet, Editions d’Organisation, mai 2011, 163 p.
(4) Le Figaro, 07/10/09.
(5) Entretien avec le dirigeant.
(6)“Ingénieurs, managers. La double compétence pour faire la différence”, Les Échos, 08/11/11..
Cité dans cet article :
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